LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 5 septembre 2018 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 2087 du 4 septembre 2018), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Husamettin M. par Me Philippe Bonfils, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2018-742 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code pénal ;
- la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par Me Bonfils, enregistrées le 3 octobre 2018 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 27 septembre 2018 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Bonfils, pour le requérant, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 16 octobre 2018 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi des deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi du 12 décembre 2005 mentionnée ci-dessus.
2. Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal, dans cette rédaction, prévoient :« En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle.
« La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d'assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées ».
3. Le requérant soutient que les dispositions contestées, en ce qu'elles prévoient l'application automatique d'une période de sûreté en cas de condamnation à une peine ferme privative de liberté d'une durée au moins égale à dix ans pour les infractions spécialement prévues par la loi, porteraient atteinte aux principes de nécessité et d'individualisation des peines.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa de l'article 132-23 du code pénal.
5. L'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ... ». Le principe d'individualisation des peines qui découle de cet article implique qu'une sanction pénale ne puisse être appliquée que si le juge l'a expressément prononcée, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce. Il ne saurait toutefois faire obstacle à ce que le législateur fixe des règles assurant une répression effective des infractions.
6. Les dispositions contestées instaurent, pour certaines infractions spécialement prévues par la loi, une période de sûreté attachée de plein droit à la condamnation à une peine d'emprisonnement ou de réclusion criminelle, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans. Pendant toute la durée de la période de sûreté, la personne condamnée ne peut bénéficier d'une suspension ou d'un fractionnement de sa peine, d'un placement à l'extérieur, de permissions de sortir, d'une mesure de semi-liberté et d'une mesure de libération conditionnelle.
7. Cette période de sûreté s'applique, lorsque les conditions légales en sont réunies, sans que le juge ait à la prononcer expressément.
8. Toutefois, en premier lieu, la période de sûreté ne constitue pas une peine s'ajoutant à la peine principale, mais une mesure d'exécution de cette dernière, laquelle est expressément prononcée par le juge.
9. En deuxième lieu, la période de sûreté ne s'applique de plein droit que si le juge a prononcé une peine privative de liberté, non assortie de sursis, supérieure ou égale à dix ans. Sa durée est alors calculée, en vertu du deuxième alinéa de l'article 132-23, en fonction du quantum de peine retenu par le juge. Ainsi, même lorsque la période de sûreté s'applique sans être expressément prononcée, elle présente un lien étroit avec la peine et l'appréciation par le juge des circonstances propres à l'espèce.
10. En dernier lieu, en application du deuxième alinéa de l'article 132-23 du code pénal, la juridiction de jugement peut, par décision spéciale, faire varier la durée de la période de sûreté dont la peine prononcée est assortie, en fonction des circonstances de l'espèce. En l'absence de décision spéciale, elle peut avertir la personne condamnée des modalités d'exécution de sa peine.
11. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'individualisation des peines doit être écarté. Le premier alinéa de l'article 132-23 du code pénal qui ne méconnaît par ailleurs ni le principe de nécessité des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit donc être déclaré conforme à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le premier alinéa de l'article 132-23 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 octobre 2018, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 26 octobre 2018.